E-sport : les gamers se jouent des clichés

L’e-sport a-t-il encore besoin d’être présenté ? Cette pratique est devenue une véritable institution et, malgré ses détracteurs, propose de sérieux arguments, tant sur le plan social qu’économique. 

Des récompenses qui se chiffrent en millions d’euros, des millions de personnes qui suivent les compétitions officielles sur les plus grosses franchises du jeu vidéo et un chiffre d’affaire de près d’un milliard d’euros annuel ー en soi rien de monumental ー mais associé à une croissance de 35% par an. Les chiffres alloués à l’e-sport donne le tournis. L’un des derniers en date : une récompense de 3 millions de dollars pour ce jeune américain de 16 ans qui a remporté le championnat du monde de Fortnite en solo en juillet dernier. Ou encore la billetterie en ligne du Championnat du monde de League of Legends à l’AccorHotel Arena assaillie par 600 000 connexions dès l’ouverture, affichant complet en quelques secondes seulement. 

Pour les néophytes qui peuvent se sentir décontenancés, l’e-sport se définit par “l’ensemble des pratiques permettant à des joueurs de confronter leur niveau par l’intermédiaire d’un support électronique, et essentiellement le jeu vidéo”, selon France Esports, une association qui regroupe les acteurs majeurs de la discipline. 

L’analyse de l’e-sport et du jeu vidéo plus généralement, se limite souvent à deux entrées. D’un côté, le cliché tenace du geek seul dans sa caverne, avec son paquet de chips et sa canette de boisson énergisante. Et de l’autre, des  pseudo-stars faisant fortune “en appuyant sur des boutons”. Ce genre de critique se fait cependant de plus en plus rare, avec la prise de conscience publique de l’ampleur du phénomène. Toujours selon France Esports, il existerait environ 450 millions de consommateurs d’e-sport dans le monde (joueurs et spectateurs confondus) et près de 5,5 millions en France. Un tel engouement crée inévitablement des vocations.

L’e-sport, ça s’apprend

L’e-sport, on l’a vu, est une institution qui a gagné ses lettres de noblesse en très peu de temps. A tel point que des formations reconnues par le milieu ont été créées en France pour les métiers du jeu vidéo. A Lyon par exemple, la Gaming Academy a été fondée il y a un peu plus d’un an. L’école offre trois certifications en deux ans. “Talent vidéo”, qui correspond à une formation en montage, “Entrepreneur influenceur”, pour ceux qui se destinent à streamer sur des plateformes telle que Twitch. Mais surtout la formation prisée “Athlète e-sportif de haut-niveau”. 

Le terme “athlète” pourrait en faire rire plus d’un, mais les responsables de la formation l’assume. Les étudiants bénéficient même des conseils en préparation physique et mentale, de diététicien ou encore d’ostéopathe-posturologue. “L’athlète e-sportif, comme dans les autres sports, doit être préparé pour faire face à des compétitions qui sont longues dans lesquelles il devra être dans un état de santé optimal”, explique Mathieu Charrat, préparateur physique à la Gaming Academy, lors d’une interview accordée à l’AFP.     

Si les postes de monteur ou de streamer ne manquent pas, les potentiels athlètes e-sportifs n’ont aucune garanti d’intégrer une équipe professionnelle  Et ce malgré les 16 000 euros déboursés sur deux ans. L’employabilité a posteriori restent encore à prouver, notamment pour la Gaming Academy de Lyon qui entame sa deuxième année et qui n’a, par conséquent, pas d’étudiants sortants. A l’école de Montpellier, d’anciens étudiants ont dénoncé dans une lettre ouverte des prestations qui ne seraient pas en adéquation avec le prix de la formation. Prudence donc, on ne s’achète pas un métier, et le calcul est simple. Si l’on s’attarde sur le nombre d’étudiants sortant des écoles chaque année, et les places à pourvoir, c’est un euphémisme de dire que les places sont chères : seulement 826 joueurs professionnels en France en 2018 contre 3 222 aux Etats-Unis, selon Statista. Pour les chanceux qui parviennent à intégrer une équipe professionnelle, le parcours ne fait que commencer. 

“On a cherché à évangéliser l’e-sport”

Arnaud Moulet est le co-fondateur du club e-sportif GameWard, un nouveau venu en service depuis un an et demi. La marque ne disposait au départ que d’une seule équipe sur le jeu PlayerUnknow’s BattleGround (PUBG), elle en possède maintenant quatre sur quatre jeux différents, avec un recrutement qui se veut ambitieux. “En fonction des jeux, ça ne sera pas forcément le même profil, ni le même niveau. Pour certains jeux, on va viser du Challenger Europe ou du Top Europe [le meilleur classement européen], ou d’autres jeux pour du Challenger France ou Top France”, explique le directeur général de GameWard 

Ce passionné de jeux vidéo ー condition sine qua non pour travailler dans le milieu ー  est plutôt agacé par les clichés englobant les gamers. “Dès le départ, on a cherché à évangéliser l’e-sport auprès de ceux qui ne le connaissent pas. Par exemple : les marques, les institutions publiques comme les collectivités territoriales, ou auprès des parents. On se rend compte qu’il y a une fracture générationnelle entre les enfants qui passent beaucoup de temps sur Fortnite et les parents qui ne comprennent pas trop ce qui se passe.” 

Pour répondre aux deux clichés cités précédemment, l’exploit de Bouga, le champion du monde de Fortnite, se suffit à lui même. En “appuyant sur des boutons”, il est venu à bout des 99 joueurs parmi les meilleurs de la planète, devant des centaines de milliers de spectateurs et des dizaines de millions de viewers. Arnaud Moulet conclut : “L’e-sport, c’est la plupart du temps multijoueur, et la finalité reste l’événement physique. Contrairement à d’autres aspects du jeu vidéo, c’est infiniment social.” 

MATHIEU LORRIAUX

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